A l’heure où ce vendredi s’ouvre « Le Livre sur la Place », jusqu’à dimanche, et tombent les premières listes de prix, « Des minutes de Lumière en plus » revient entrer dans la danse. Il y a du bonheur et du drame.
Tout est affaire de décor écrit Aragon. Et je n’ai en tête que des images d’ailleurs. Celle, en juillet, d’une Drôme provençale secrète, charnelle et gainée de soleil. Celle, en août, des rives océanes de Saint-Brévin, couvertes de vent, semées de chars à voile en mode bolide et de kite surfers qui montent au ciel dans des flambeaux d’écume. Celles d’Angoulême, à l’occasion de la 14eme édition du Festival du Film Francophone – ne manquez pas, je vous assure, « Une histoire d’amour et de désir », « Une vraie famille », « Presque », « On est fait pour s’entendre », « Délicieux », « Une jeune fille qui va bien »… Entre autres. Il y a eu cette année tant de belles choses à se souvenir. Et pour finir, l’image, sous ciel bleu pur, de l’éternelle beauté de la place Stanislas pour y débattre du Prix Stanislas du premier roman. Créé et mécéné par la société d’assurances Groupama qui propose à ses employés férus de littérature de participer au jury, voilà, si j’en juge par les coups de fil discrets ou plus appuyés que reçoivent les jurés, un couronnement particulièrement convoité par les éditeurs. En six ans d’existence, c’est du beau boulot comme s’exclama un soir le père d’une copine. Ce sobre commentaire concernait la Tour Eiffel qu’il voyait en vrai pour la première fois.
Cette sixième édition se déroulait cette année sous la présidence chapeautée de Franz-Olivier Giesbert. Daniel Picouly, lui aussi en galure (quelle allure, quelle allure tous les deux !) a son rond de serviette dans cette académie à laquelle manque désormais Eliane. Eliane Marnas. L’âme de cette initiative. Une crise cardiaque nous l’a volée cet été. On fit une minute de silence en sa mémoire. A son issue, Picouly, évoquant le rire et la pétaradante énergie de la défunte, a confié qu’il faudra lui consacrer aussi bien, un de ces jours, une minute de bruit.
En attendant, du bruit il y en eut. Jusqu’au choix final du lauréat, là où on attendait une lauréate. Frédéric Ploussard l’a emporté d’un pneu avec « Mobylette », aux éditions Héloïse d’Ormesson. La tout aussi pétaradante machine de Ploussard a débridé son moteur dans l’ultime tour de piste et coiffé sur le poteau « Mon mari », de Maud Ventura. Là où la caravane passe » monte sur la troisième marche du podium. Le vélomotard a fait savoir que le ciel lui tombait sur la tête. Il sera officiellement couronné ce 11 septembre lors de la 47eme édition du « Livre sur la place » qui se tient à Nancy sous la présidence d’Enki Bilal. Le salon s’ouvre aujourd’hui jusqu’à dimanche inclus. Il retrouve son élégant barnum blanc dans les allées de la place de la Carrière. On y attend trois cents écrivain(e)s et un surcroît fort bienvenu d’aérations.
De cette grande fête du livre qui occupe tous les prestigieux lieux de la cité de Stanislas, Duc de Lorraine, de Bar, selon ce qui est indiqué sur sa statue, et le soir venu, patron de la tournée des grands ducs au bar, une romancière est annoncée dans le programme mais elle ne viendra pas. Il s’agit de Nathalie Rheims qui publie « Danger en rive », son 22eme roman. Pourquoi cette absence? Parce que l’auteure se « Lettres d’une amoureuse morte » et de « Laisser les cendres s’envoler », qui revient de loin après avoir été greffée du rein – ce qu’elle raconte dans « Des reins et des cœurs » – est privée de passe sanitaire et ne peut pas monter dans un train. Le vaccin ne sert à rien pour les greffé(e)s. « Zéro immunité » dit-elle. Elle a reçu trois doses et rien n’y fait. Trois doses ou mille doses ne la protègent pas. Nathalie se demande pourquoi les médecins et tous les fameux experts qui défilent sur nos écrans de télévision ne parlent jamais de cette tribu maudite, abandonnée, qui a déjà payé un lourd tribut, comme on dit à la guerre, à cette catastrophe. Pour Nathalie, c’est tous les jours danger en rive. « Vous vous rendez compte, Pierre, je vis pour ne pas mourir ». S’il y a des propos qui vous laissent de glace, il en est d’autres qui vous laissent glacé. Ce serait bien que Nancy pense à elle.
Mais, nom d’une mobylette, il est temps de remettre les gaz pour mes « Minutes de lumière en plus » qui ont si bien démarré. Vos retours, vos enthousiasmes, vos attentes que je n’attendais pas (oui, oui, c’est voulu la répétition) si nombreuses, c’est vrai je le jure, m’ont apporté dans le cœur tout le soleil qui manquait à cette météo d’été. J’ai de la chance de vous avoir. La chance aussi d’être soutenu dans cette initiative par le bienveillant regard de mes marraines et mes parrains, mes marins et mes parraines comme j’aime à les nommer. Je ne vous cache pas que j’ai eu plusieurs fois ces derniers temps un coup de chaud sur l’oreiller. Comment surfer sur cette vague de rentrée qui n’était plus une image mais une réalité. Cinq-cents-vingt-et-un bouquins (il doit y avoir trois fautes rien qu’en tirets là- dedans, je vais me faire engueuler par le professeur Julaud) et, comme pour les films d’Angoulême, tant de livres formidables ! Formidables, oui. En piste pour égrener cette manne au fil des semaines. Et rapatrier en vol des livres qui sont intemporels, loin de saisons littéraires, comme cet essai, « Un si beau siècle », qu’a signé aux Equateurs en juin Olivier Frébourg sur la résistance salvatrice à la dictature (aaargh ! est-il bien judicieux de prononcer ce mot ?) qui n’est pas celle des vaccins mais bien celle des écrans. Ou, dans un tout autre décor, cette comédie légère et court vêtue, bréviaire à l’envers sur les mœurs amoureuses quelque peu bousculées par les miroirs de plus en plus trompeurs et dévastateurs de notre époque. Je parle de ce livre très malicieux de Camille Saferis qui s’appelle « L’homme d’une seule femme ».
Le jour où monte au ciel du Net (Net, ce mot trompeur et surbrouillé car enfin, qu’y-a-t-il de net sur le Net ?) la course aux prix a commencé. Amélie Nothomb reste sur le banc de touche. Elle n’en sera pas surprise. Elle passe son temps à répéter que le Goncourt ne sera jamais pour elle. Dans le cas très improbable où il s’agirait de sa part d’une tactique superstitieuse, il est temps d’en changer. Christine Angot, elle, fait coup double au Fémina et chez Drouant. Notons que chez les « Dix », qui se sont trouvé un nouveau secrétaire général en la personne de Philippe Claudel (tiens ! encore un homme de l’est, familier de Nancy, c’est comme Félix Potin, on y revient), David Diop, Sorj Chalandon, Philippe Jaenada et Tanguy Viel partagent la ligne de départ, prêts à aller comme des chevaux fous (merci Fernando Arrabal, qui a fêté ses 89 ans le 11 aout dernier !) vers les fracassantes illusions du grand rêve. Gallimard se la joue modeste mais on a vu ce que ça a donné l’année dernière. Attendez-vous à une ruée de presse pour Lilia Hassaine, la longue et jeune chroniqueuse brune de l’émission Quotidien. Un train inattendu peut toujours en cacher un autre et l’éditrice Karina Hocine, découvreuse de talents chez Lattès (De Vigan, Sabolo, Delacourt…) qui a transporté ses valises dans l’auguste maison et permis en 2020 à Hervé Le Tellier de tutoyer le Graal, n’est pas seulement la nouvelle grande prêtresse de l’édition française. Elle est aussi sorcière que fée.
Bon, j’arrête là. « Tu fais toujours trop long, m’a reproché une amie une fois. Comment veux-tu que les gens aient la patience de lire tout ça ? » Ok. Au revoir. Je vous souhaite à toute une chacun (on fait ce qu’on peut avec les variations inclusives) de beaux temps de lecture, d’apaisement, de sourires et, puisque les jours commencent à raccourcir, tellement de minutes de lumière en plus.
PS : (Quoi ?!!! ce n’est pas fini ?)
Juste un mot rigolo pour finir. Le prix du Patrimoine et de la Banque Postale Européenne, présidé par Daniel Picouly et auquel j’ai l’honneur de participer a été remis à un très beau et grand roman : Milwaukee Blues, de Louis-Philippe Dalembert, chez Sabine Wespieser, également sélectionné par les Goncourt. Mais il y a une autre nécessité à cet intempestif ajout. Les délibérations ont eu lieu chez Drouant (trop chic ! oui, oui, vous l’avez enfin remarqué, je me prends pour Jaenada avec toutes ces parenthèses) dans le salon des Renaudot.
De l’autre côté de la cloison, les Goncourt établissaient leur première liste. Soudain, l’un des membres de notre cénacle, l’avocat et académicien François Sureau, dont l’âme, en de début d’été indien s’est trouvé de militaires accents prytaniers( il y a un jeu de mot, merci de s’en référer au récit de Yannick Haenel « Les Petits soldats », chez La Petite Vermillon), pour entonner de sa tonnante de sa voix de sable chaud des chants de la Légion. Picouly s’est alors levé lui aussi et, faisant mine de se tromper, s’en est allé pousser la porte de nos chers voisins qui faisaient tous, assura-t-il, une drôle de tête. Cette fois c’est fini. Rompez !
Commentaire
FRANCK JUILLARD
Merci Pierre pour nous rappeler ce que nous devons à Éliane pour ce prix Stanislas, et surtout merci pour les hommages tout aussi vibrants que […] En savoir plusMerci Pierre pour nous rappeler ce que nous devons à Éliane pour ce prix Stanislas, et surtout merci pour les hommages tout aussi vibrants que tu lui as rendus. Read Less