Avec « Danger en rive », Nathalie Rheims tord le cou avec les armes du roman à une relation toxique qui a bien failli la détruire.
Voilà cinq ans que la narratrice, romancière réputée, a décidé de cesser d’écrire et de tourner le dos à la société. Cinq années déjà d’isolement en compagnie de Paul, son chien, dans sa maison du Vieux Pressoir, dans le Pays d’Auge, en Normandie. Pourquoi ce coup de tête ? Parce qu’elle a perdu ce qui fait l’équilibre de la vie, la mémoire. Et c’est comme si elle avait disparu à elle-même. Cette amnésie est liée aux persécutions que lui a fait subir un harceleur, enfermé depuis en hôpital psychiatrique. Sauf…que ce sale type s’est évadé et qu’il rôde dans les environs. Par-dessus le marché, le mystère d’une disparition hante le pays. Sous couvert de l’enquête que son héroïne a décidé de mener, le nouveau roman aux reflets noirs de Nathalie Rheims est un faisceau d’indices braqués sur elle-même. Nul besoin de la harceler de questions pour qu’elle nous en dise plus.
La perte du désir d’écrire est-elle votre principale terreur, à moins que le mot terreur ne soit trop fort?
Non, pas vraiment, la seule terreur que je ressens c’est l’idée de perdre ceux que j’aime. Pour moi, écrire est une passion qui me permets de me sentir en vie, je n’ai jamais trouvé de substance plus forte que celle-là.
L’amnésie en est-elle une autre?
Je pense que l’amnésie est le pire cauchemar pour un écrivain. Mes personnages, y compris celui de Danger en rive, sont souvent confronté à ce vertige. Quand je pense aux milliers de victimes de la maladie d’Alzheimer, et à leur entourage, cela me brise le cœur.
Le harcèlement est au coeur de cette histoire. En avez-vous été la victime?
Oui, bien sûr, c’est ce qui rendait l’écriture de ce roman essentielle pour moi. J’avais besoin de prendre le dessus sur ce sentiment d’impuissance et d’injustice. J’ai failli y laisser ma peau.
Aviez-vous depuis longtemps le désir de vous colleter – littéralement prendre au col, et c’est si vrai ici – à ce sujet et lui régler définitivement son compte ? Si c’est le cas, qu’est-ce-qui vous retenait de le faire?
C’est une compétition de base entre le réel et la fiction dont personne ne peut proclamer qui sera victorieux. Dans le domaine du pire tout peut arriver, l’imaginaire en est une source inépuisable.
Si vous aviez le pouvoir de disparaître de temps en temps pour vous reposer d’un monde dont vous esquissez de nouveau les déviances d’un futur qui vous inquiète, le feriez-vous?
Certainement. D’ailleurs je le fais dès que j’en ai la possibilité. En réalité, je découvre que je n’aime pas le monde nouveau dans lequel nous baignons et que, probablement, le futur ne pourra être que celui du triomphe du pire.
Ce récit a des miroitements de roman noir. C’est pour taquiner le genre où aller un de ces jours bien plus loin sur ce chemin? Vous semblez d’ailleurs être très férue de cinéma noir…
Il n’y avait aucun calcul au départ, et pas de plan, comme d’habitude. En revanche j’ai senti un changement, je suis passée de la disparition des autres à la mienne propre. J’ai eu l’impression de franchir une étape, comme on passe d’une période à une autre dans la musique.
Ce livre n’est-il pas le portrait le plus en creux que vous ayez fait de vous?
Je ne dirais pas ça, je me retrouve en creux dans tous mes livres, qu’ils soient de la pure fiction ou des romans vrais. Je poursuis sur mon chemin, mais avec le temps, il y a plus de distance, c’est ce qui m’aide, de plus en plus, à « faire le point ».
Les vaccins sont inefficaces sur les greffé(e)s, ce qui est votre cas puisque vous avez subi une greffe du rein. Au-delà du fait que vous êtes assignée à résidence sans pouvoir voyager, ce qui vous a empêché de vous rendre à Nancy où vous étiez dûment annoncée, est-il indécent de vous demander ce que cette situation modifie profondément en vous et dans la poursuite de votre travail d’écrivaine?
Renoncer à Nancy cette année, fut, pour moi, un moment difficile. Depuis le début de la Covid, je suis en grande partie isolée et, quand j’ai appris que le vaccin ne me protégeait pas, j’ai éprouvé une profonde tristesse, celle de ne pas pouvoir rencontrer mes lecteurs, d’échanger avec eux.
Que participe à construire en vous chaque nouveau livre?
Un élan vital, un bonheur immense et le mystère : où irai-je la prochaine fois ?
« Danger en rive », de Nathalie Rheims, éd. Léo Scheer, 185 pages, 17€
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