La poésie n’a pas d’âge, elle est au commencement du monde. Mais le Marché de la Poésie qui bat son plein Place Saint-Sulpice jusqu’à demain soir en a un: voilà quarante ans qu’il a quitté le port et que les voiles blanches de ses bateaux livres tiennent bon le cap sous le vent des mots. Entretien avec Yves Boudié, président et Vincent Gimeno-Pons, délégué général.
40 ANS de Marché de la Poésie. Au-delà des fonctions que vous y occupez à ce jour, qu’est-ce-que cet anniversaire vous inspire et son fondateur, Jean-Michel Place, est-il à vos yeux un héros moderne ?
À n’en pas douter ! Ce fut une idée apparemment saugrenue… mais qui, au fil des années, a fait la preuve qu’il existe un public curieux de poésie et de littérature exigeante.
La poésie a connu des années difficiles, il me semble, dans les années 70, comme si la loi avait été de l’assécher, de la vider de sa sensualité, de brûler Aragon pour encenser Meschonnic. Résultat, le public s’en est effrayé et détourné. Me trompé-je ?
Un certain public, certes, mais le rayonnement du Marché a prouvé qu’elle avait malgré tout conservé la confiance du public. Et ce public s’est élargi au fur et à mesure du temps.
La poésie est-elle à vos yeux en passe de redevenir un lieu de résistance ? A-t-elle retrouvé sa parole d’apaisement ?
– La poésie a toujours su être une résistance, on se souvient d’Agrippa d’Aubigné, de Hugo, de René Char, résistants chacun dans leur siècle, contre l’oppression. Le poème parfois se fait arme. Mais la résistance n’est pas seulement historique, elle se manifeste aussi dans la langue, dans la résistance aux discours d’une économie débridée qui censure les paroles marginales.
Sans réfléchir, l’un et l’autre, quel nom de poète a-t-il été la clé d’y succomber ? Avez-vous en tête un vers qui vous accompagne pour la vie ?
D’apaisement peut-être pas, mais de grande réflexion, de grande sagesse, tout en restant dans l’univers de la révolte : Bernard Noël. Sa voix en lecture était apaisante, malgré la grande force de ses mots. Et, Marie-Claire Bancquart nous a tant apporté ; une poésie totalement différente mais d’une grande émotion à partager.
Il suffit de parcourir les allées du Marché pour s’enthousiasmer de l’originalité et de la qualité des productions qu’on y trouve. Comment vivent ces maisons ? Comment « tiennent » -t-elles ?
La plupart de ces maisons d’édition sont totalement artisanales. Face à l’industrie culturelle, nous restons dans un univers d’une grande humanité et inventivité. La liberté est au cœur de leur choix. Elle prime sur l’intérêt commercial, même si cet aspect demeure malgré tout présent, ne serait-ce que pour continuer à produire ces œuvres de création.
Comment les choisissez-vous ?
Nous sommes exigeants sur un point bien précis : ce doivent être des éditeurs qui publient à compte d’éditeur. Puis, sans forcément être en accord avec l’ensemble de leur ligne éditoriale, nous tentons de choisir un « panel » représentatif de tous les univers de la poésie contemporaine.
J’imagine que vous veillez au prix des stands ? Etes-vous suffisamment aidés ?
Ne cachons aucun chiffre : le budget du Marché est de l’ordre de 225 000 euros, dont 55% proviennent de la participation des éditeurs, le reste est représenté par l’aide de l’État principalement (Centre national du Livre), la Région Île-de-France et la Ville de Paris. Quelques partenariats privés dont notamment La Sofia, la culture avec la copie privée et la fondation Michalski. La participation des éditeurs est fondamentale pour assurer une indépendance d’esprit et d’action.
Pensez-vous que la chanson française est un secours à la poésie ?
Un secours, non. La chanson et la poésie sont deux lignes parallèles, qui, malgré la géométrie, tentent de se rejoindre parfois pour le meilleur et…
Estimez-vous que le rap est une passerelle inattendue pour redonner sa place au langage ?
Que ce soit pour le rap ou le slam, on a tendance à les confondre avec la poésie. Or dès que l’on commence à aborder ces deux formes, on finit souvent par oublier le poème et le livre.
L’éducation nationale a-t-elle abandonné le combat ?
Pour ce qui concerne le secteur de l’enfance, il n’y a aucune hostilité, voire un travail soutenu autour de la poésie. Cela devient plus compliqué à partir du collège, mais c’est sans nul doute lié à l’adolescence. L’attirance revient au sortir des études secondaires, la création des masters 1 et 2 d’écritures créatives orientées vers la poésie le démontre.
Il se dit que, depuis le Covid, la jeunesse s’est tournée vers la poésie pour y trouver un réconfort. Vrai ou fake ?
Peut-être est-il encore trop tôt pour en juger. Cependant, il semblerait qu’il y ait un regain pour la poésie, pas seulement auprès de la jeunesse. La société contemporaine est devenue si violente que le besoin d’une réflexion sur le monde, et d’une certaine évasion, s’imposent.
Exercice-de science fission. Vous êtes un duo de scénaristes chargés d’imaginer un monde sans poésie. Vers où vous porte votre plume ?
Nous ne saurions même imaginer la chose. La poésie est l’essence de la langue. Sans le poème, pas de romans, pas de nouvelles…
40e Marché de la Poésie mode d’emploi
Où: Place Saint-Sulpice, Paris 75006. Métro Saint-Sulpice.
Quand: jusqu’à 21h30 aujourd’hui; demain dimanche de 11h30 à 20h
Pays invité d’honneur: les nations des Caraïbes
Entrée gratuite.
Commentaire
Pierre Vavasseur salue par une interview le 40ème anniversaire du Marché de la Poésie - Guilaine Depis, attachée de presse (Balustrade)
[…] La poésie n’a pas d’âge, elle est au commencement du monde. Mais le Marché de la Poésie qui … […]
Pierre Vavasseur
to Pierre Vavasseur salue par une interview le 40ème anniversaire du Marché de la Poésie - Guilaine Depis, attachée de presse (Balustrade)
Tardif merci, Guilaine!
Jean-Yves Léopold
Bonjour Cher Pierre ! Un ami m'avait conseillé de m'y rendre afin de voir du monde, d'y rencontrer des éditeurs et d'autres auteurs, mais je n'ai […] En savoir plusBonjour Cher Pierre ! Un ami m'avait conseillé de m'y rendre afin de voir du monde, d'y rencontrer des éditeurs et d'autres auteurs, mais je n'ai pas fait le voyage. Et en voyant ces photos prises lors de l'événement, je ne le regrette pas ; il est certain que j'aurais été fort mal à l'aise au milieu de toutes ces belles gens, où il y a si peu de place pour l'intime & l'infime, et où être vu importe plus que de donner à voir... En même temps, j'envie celles et ceux qui s'y sentent comme chez eux, peut-être parce qu'ils le sont en quelque manière et qu'il est juste que les choses soient ainsi. Amitiés, Jean-Yves Read Less