Sous le ciel de Dréjac

Il y a vingt ans s’éteignait au mois d’août l’auteur de “Sous le ciel de Paris”, “Ah! Le petit vin blanc” ou “L’Homme à la moto”. Jean André Jacques Brun, alias Jean Dréjac, nous redescend du ciel dans la réédition, remaniée, d’une très jolie biographie par un auteur qui était le mieux placé pour la signer: son fils.

On croit connaître la chanson et on ne connaît rien du tout. Surtout moi. Pas une seule fois je n’ai eu la curiosité d’aller voir qui avait écrit les merveilleuses paroles de « Rupture » qu’interpréta Serge Reggiani avec une voix en volutes, une voix d’ambre et de miel, élargissant le cercle des octaves dans un mélange sonore d’aurore et de crépuscule. Voici comment elle commence : « Je crois qu’il vaut mieux/ S’aimer un peu moins/ Qu’on s’aimait nous deux/ C’était merveilleux/ Ton cœur et le mien/ C’était un grand feu/ C’était une flamme/ Jusqu’au fond des cieux/ C’était un programme/ Très ambitieux. » Or voici que j’apprends qu’elles sont de Jean Dréjac, de son vrai nom Jean André Jacques Brun, l’auteur de « Sous le ciel de Paris » ou du « Petit vin blanc ».

Ces roseaux de ritournelles immémorialement immortelles me cachaient une forêt de chênes. Les Montand (« La Chansonnette »), les Piaf (« L’homme à la moto ») avec qui l’intéressé eut une histoire, les Gréco, les Chevalier et parmi les compositeurs indissociables de sa trajectoire, ce grand ami que fut Michel Legrand…

L'homme à la moto
L’homme à la moto version 2023

Ne reprochons pas aux vingt ans (et moins) de ne pas connaître ce Fregoli de la variété musicale française – auteur, compositeur, interprète – qui déploya ses talents de la comédie musicale à l’opérette en passant par les paroles du dessin animé « Oum le Dauphin”. Il a précisément lâché prise lui-même il y a vingt ans, au moment pile, donc, où ces mômes naissaient, bercés dans des effluves éphémères et rageuses des rappeurs Destroy Man et Jhonygo, auteurs, comme chacun sait, de l’immortel « J’en ai assez ». Ils ont disparu depuis. Lui aussi, à 82 ans, en avait assez de remâcher sa déception à l’idée que l’âge d’or poétique de son époque partait à vau-l’eau; que sa chère épouse Perla ne reviendrait plus jamais; et que la vieillesse avait broyé si fort ses traits de beau gosse qu’il ne supportait plus de se regarder.

Il fallait pour effacer les rides de la douleur et redonner son scintillement à la mémoire, la plus idéale des plumes : celle de son fils, Frédéric Brun, aujourd’hui devenu éditeur, fondateur de sa propre maison Poesis. Le mot, latin, trouve son origine dans le grec poiêsis. C’est normal, Frédéric trouve lui une forme de sérénité dans la philosophie. Evoquer la mémoire de son père ne pouvait pas ne pas emprunter ces passerelles. Les grands anciens lui sont dans ce texte, de Pythagore à Aristote en passant par Homère, d’un discret secours.

COUV DREJAC

Ce livre, « roman » d’une vie comme sait en fabriquer la vérité, est la réédition d’un premier texte, remanié, publié en 2008. La célébration de cet anniversaire, le 11 août prochain, ne pouvait pas avoir lieu sans lui. Redémarre ainsi la chenille des souvenirs, depuis l’arrivée à Paris à l’âge de 17 ans d’un jeune gandin originaire des faubourgs de Grenoble – son costume de scène, un habit blanc aux revers moirés – occupant, haut de forme compris, l’essentiel de sa valise.

(c) coll. Brun Dréjac D.R_
En compagnie de Michel Legrand (c) coll. Brun Dréjac D.R

Ce « roman », Dréjac envisageait de l’écrire, se berçant en dilettante de ce vœu pieu. « Dans ton bureau, tu m’as laissé tant de choses, des documents de toutes sortes. N’était-ce pas une incitation ? » s’est interrogé le fiston plongé dans un maelström de « lambeaux d’une vie ancienne », de notes retrouvées, de brouillons « égarés entre deux dossiers », de feuilles volantes pas toutes envolées, de partitions annotées et autres cassettes-audio en pagaille avec proposition de mélodies et de textes sur les jaquettes. Ce barnum en folie, cette mémoire ventilée façon puzzle, a donc fini par exister, agrémentée de photographies. Dès la page 29, celle du gamin en galurin donne le ton.

Ciel de Paris
Sous le ciel de Paris s’envole une chanson

S’ensuit une carrière bénie par les dieux, grecs ou pas, qui fera de cet ardent travailleur, séducteur accompli, jouisseur, fumeur et buveur jusqu’à ce que Perla (*) ne vienne y mettre bon ordre, une machine à succès. Une quinzaine de tubes en tout, émergés de centaines de chansons, et une notoriété absolue partagée par les plus grands. Maurice Chevalier lui témoignait ouvertement de l’admiration qu’il lui portait. Boris Vian partageait avec lui des parties de belote. Youri Gagarine vint lui serrer la main.

ROSE guitare
La la la mine de rien, la voilà qui revient, la chansonnette

Mais ce sillon d’étoile dit beaucoup, aussi, de ce qu’est la gloire et comment se fanent les partitions de vie. Lorsque, la soixantaine venue, Dréjac a repris comme à 17 ans le chemin des cabarets, la chanson ne fut pas la même et la maison d’édition musicale qu’il avait fondée dans un recoin de la rue François 1er fit assez vite long feu. Frédéric raconte tout cela avec une tendresse imprimée entre les lignes. Notons qu’il y a quelques mois encore, le métro parisien transportait sur ses rails, accrochés dans les rames, les quatre premiers vers de « Sous le ciel de Paris » : « Sous le ciel de Paris/ S’envole une chanson/ Elle est née d’aujourd’hui/ Dans le cœur d’un garçon ». Zaz l’a d’ailleurs reprise. Sous le ciel de Paris, Dréjac est toujours là.  

(*) Frédéric Brun lui a également consacré un ouvrage, « Perla », éd. Stock, 2020

« Le roman de Jean », de Frédéric Brun, éd. Poesis, 146 pages, 18€

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