Nous sommes au soir du 21 août 2022. D’une pizzeria de Nantes, la Vespa, 11, rue des Carmes, et que je conseille, j’attaque cet « édito à ma façon » dont les deux caractéristiques essentielles consistent à n’éditorialiser sur rien et, côté régularité de publication, ne s’en remettre qu’à l’horloge de l’aléatoire.
C’est un édito très vivant que ne connaît pas de dead-line.
Mais c’est par un visage quelque peu mort-vivant qu’il débute. Avez-vous vu la couverture de Télérama ? Faites le test. Il s’agit d’un portrait de Virginie Despentes à l’occasion de roman épistolaire « Cher connard » chez Grasset. L’auteure de la trilogie « Vernon Subutex » vous fixe. La photo est de Patrick Swirc. Observez la en vous efforçant de ne pas cligner des yeux. Tenez le plus longtemps possible. Encore, encore, voilà : vous êtes mûrs pour filer tout droit à l’hôpital psychiatrique le plus proche, quoique très encombré et très démuni, votre pass-dépressionnaire en poche.
Chère Fabienne Pascaud, directrice de la rédaction, nous nous connaissons plutôt bien et je te reconnais bien là. Entre la sublime photo solaire de Monica Sabolo qui illustre, à l’intérieur du magazine, la page d’ouverture du cahier critique pour son roman « La vie clandestine », chez Gallimard, et cette agression caractérisée représentée par la tronche vraiment pas du tout avenante, à la Houellebecq, de Despentes, tu as choisi sans hésiter et avec une gourmande lueur dans la pupille une gueule qui le fait comme on dit. C’est-à-dire, en l’occurrence, celle qui fait la gueule.
En littérature, c’est comme dans la mode, on ne sourit pas sur la photo. Mais bon, il y a des limites…
Pendant que j’écris ceci, un accordéoniste joue dehors ‘Laisse béton’ de Renaud. Du Renaud en terrasse, ce n’est pas courant. Avez-vous remarqué comme des airs archi-connus sont parfois indéchiffrables à la mémoire quand les paroles n’apparaissent pas ou sont dites dans une langue étrangère ? Lors d’un reportage au Vietnam, dans un restaurant sans toit, j’ai été incapable de reconnaître les airs qu’une chorale féminine enchaînait, chaque choriste vêtue de la même longue robe droite et blanche pour la clientèle, pendant le repas. Ce qu’elle nous interprétait me rappelait quelque chose, mais quoi ? Trois jours après, ça m’a sauté à l’oreille. C’étaient les plus grands succès de Jacques Brel.
Cette histoire de robes blanche m’évoque la pureté des liserons qui fleurissent dans les allées des jardins potagers où je vais marcher et prendre des photos de fleurs. J’y passe une bonne heure, C’est mon zen à moi. Aucune ne fait la gueule.
Je pense qu’il faut être complètement dingue pour aimer dinguement, comme c’est mon cas, ‘Vivance (Le Seuil), deuxième roman de David Lopez après son « Fief » paru en 2017 et récompensé l’année suivante du prix du Livre Inter. Avec son titre si intrigant, le texte descend très profond, en spirale, dans nos ressorts intimes, fouille comme dans la chair d’une pince de crabe une raison d’être concerné par le cheminement de la vie. Formidables portraits du tout-venant, des solitudes croisées, du couple d’amis que l’on quitte longtemps et qu’on retrouve à la fin. Le héros fume des cigarettes roulées mais monte le Ventoux à bicyclette tandis que mille pensées sans rapport les unes avec les autres le distraient de son effort. Son vélo de randonnée nommé Séville. A part cette machine, les deux chats qui traversent le roman et le prénom des personnages secondaires, rien n’est vraiment clairement défini à l’image des lieux. Ils sont une toile de fond assez floue dans le secteur sud du pays où tout se passe en trame, tout est dans les détails.
Le narrateur repeint sa maison avec un pinceau de quatre centimètres et n’envisage pas de se servir du rouleau qu’on lui tend. Aller vite ? Quelle idée inutile! Il y a dans ce livre des meurtres subliminaux. Des résurrections inattendues. De l’interrogation polie et permanente. Le souvenir d’une femme aimée, Renata, avec laquelle le narrateur aurait pu être heureux mais qui, l’abstrait ne se concrétisant pas, a fini par s’en aller. « Vivance » est un titre assez troublant que le dictionnaire raccorde à la sophrologie. Une connection entre le corps et l’esprit. La vivance ne peut pas être un désir accompli, encore moins l’acte de ‘vouloir’. Ce ne peut être qu’une ondulation du présent, un laisser-vivre qui requiert les cinq sens. Cette définition paresseuse de ma part demande évidemment une sérieuse vérification. Ce qui est certain, c’est qu’il n’existera qu’un seul David Lopez dans cette obstination douce à nous faire visiter un territoire vraiment peu exploré de la littérature : la contemplation libre et dilettante des choses et des gens, au même rythme que la pensée qui l’anime et la colore. J’adore absolument ce livre, le défendrai bec et plume.
A part ça tout arrive. Plus d’un an après sa naissance, « Des Minutes de lumière en plus » est un peu, comment dire, confidentiel. C’est normal, je suis un geek lent ! Mais ça va changer dans les jours qui viennent. Mes Minutes s’instagramment, se relient aux réseaux. Ce sera la fête aux éditeurs, aux auteurs (merci, à propos, Tonie Behar, pour votre formidable relais), aux partages. Nous créerons aussi à l’automne un prix littéraire original, celui des quatrièmes de couv. Je vous en dis plus très vite et vous êtes tous concernés.
A ce propose, enfin, je vous le rappelle : vos coups de cœur littéraires sont bienvenus dans ces Minutes de lumière en plus. La rubrique ‘L’invité(e)’ est faite pour vous. Une vingtaine de lignes, une photo de vous avec en évidence, la couverture de l’ouvrage, roman ou essai, que vous avez aimé, une courte bio et roulez jeunesse, celle, toujours recommencée, du bonheur de lire.