Coureurs stylistes

En ce creux de l’été, vous préparez-vous à une sortie à vélo entre vieux routiers de l’amitié ? Ou bien à vous pousser du col en solitaire sur les pentes d’un Ventoux ou d’un Galibier ? Dans les deux cas, ravitaillez-vous à ces merveilleux champions du style que sont Paul Fournel et Christian Laborde.

Dans la roue des deux derniers Tour de France, le masculin et le féminin, aucun ne l’emportant l’un sur l’autre, vous êtes sans aucun doute nombreux à avoir emporté avec vous votre sacro-saint vélo en vacances. Avant la toute proche rentrée littéraire où la petite reine met le nez à la fenêtre – dans « Disparaître », de Lionel Duroy, chez Mialet-Barrault, et « Vivance », de David Lopez, au Seuil –glissez donc après l’étape les deux nouveaux livres que signent chacun Paul Fournel et Christian Laborde, tous deux ardents pratiquants du régime avec selle.

Fournel roule pour nous

La consistante œuvre littéraire de Paul Fournel (« Un homme regarde une femme », « Poil de Cairote », «Foraine », Prix Renaudot des Lycéens) rayonne de titres sur la bicyclette (« Besoin de vélo »,  « Méli-Vélo », « Anquetil tout seul »). Ce « Peloton maison », très joliment illustré en couverture par Pierre Lagrue, est un exercice de styles qui nous emmène sur le porte-bagages d’un coursier (imaginaire, hein, le porte-bagages, sinon plus de coursier), dans sa tête autant que dans ses muscles. Il y a des hauts, il y a des bas, des crampes et de l’adrénaline, des équipiers et des équipières (et même un mariage), des bises déclarées interdites sur le podium, des envies de pipi et des retours à la maison pour les vacances. Et il y a vous, car de douleur en victoire, dans cette passion rédigée à main levée, tout est écrit au Je. Quand vous aurez parcouru ces quarante-cinq chroniques, nez dans le style et dans le guidon, vous serez apte à déclarer : Fournel a fait le tour de la question. Extrait piqué sur la ligne de départ :

Paul Fournel
Paul Fournel en normande étape

« Ils ont mis en route juste au moment du ravitaillement et je me suis retrouvé comme un con, planté sur mon braquet de touriste en fond de paquet avec cette musette autour du cou qui me scie la peau et me bat la poitrine. Qu’est-ce qui leur passe par la tête d’accélérer comme ça ? J’ai pris dix mètres dans le nez et je voie le peloton qui file sans moi. Je ne peux pas laisser filer le peloton, c’est ma maison. Si le peloton part sans moi, je suis jeté dehors. »

« Peloton maison », de Paul Fournel, éd. Seuil, 193 pages, 17€

Laborde en danseuse

Christian Laborde, c’est le José-Maria de Heredia – figure poétique tutélaire, au XIXeme siècle, du mouvement (mont)parnassien. Il n’envisage le roman cycliste que sur grand plateau. Natif des Hautes-Pyrénées, il écrit comme il parle, c’est-à-dire avec les pleins et les déliés de son sonore accent. Les trois-quarts de ce qu’a écrit ce Nougaro du vélo – il est, sur son ami Claude, l’auteur de « Nougaro, la voix royale » et « L’homme aux semelles de swing » – barbote dans l’huile de pignon : « Fenêtre sur Tour », « Le Roi Miguel », « L’ange qui aimait la pluie », « Le petit livre jaune » … Avec “Les grimpeurs du Tour de France”, voici, de A comme comme les frères Alavoine, à Z comme Zulle (Alex), « géant hélvète au regard doux de myope »), en passant par tous les héros, les sommets d’anthologie, les grands duels et autres piquantes anecdotes (S comme sifflet) que compte l’histoire en danseuse de la Grande boucle, de quoi vous faire sacrément palpiter le muscle cardiaque. Un poil d’extrait :

Christian Laborde. Photo: Fernand Fourcade
Christian Laborde soigne son équilibre. Photo Fernand Fourcade

Moustaches. « Les longues moustaches d’Eugène Christophe sont fameuses. Il leur doit son surnom : le Vieux Gaulois. Elles lui donnent fière allure, mais l’embarrassent durant la course, quand il veut boire. C’est pour ne rien perdre du contenu précieux de ses bidons qu’il décide, le lundi 8 juillet 1912, de les couper, quelques heures avant le départ de l’étape Chamonix-Grenoble. Et c’est glabre et sans palabres qu’Eugène Christophe attaque seul le col du Galibier. Il effectue l’ascension en 2h33’45’’. Un temps un poil meilleur que celui d’Emile Georget en 1911 (2h38’). »

« Les grimpeurs du Tour de France », de Christian Laborde, éditions du Rocher, 186 pages, 20€

Merci aux éditions Calmann-Lévy pour leur involontaire participation à la photo d’ouverture, agrémentée du formidable album d’Olivier Dazat, “Seigneurs et forçats du vélo”, publié en 1987. Coucou Olivier! Ca fait une paye!

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