Sans chanceler, chantons sous la pluie

Je sais, l’ “Edito à ma façon” ne brille guère par sa présence régulière dans ces « Minutes de Lumière en Plus », lesquelles se retrouvent en revanche en parfaite adéquation avec les jours qui rallongent. Celui-ci est animé d’une colère certaine au regard de la marche des choses mais il reste la beauté.

J’ai bien fait d’attendre pour vous écrire. Et d’abord vous donner des nouvelles. Elles sont bonnes. Mes Minutes ont été (enfin) ensemencées par un truc de dingue : le relais d’Instagram. Ca vous fait rire ? J’ai toujours eu un grand sens du comique. De la patience aussi. Tu m’aurais donné des rayons, une jante et un pneu, j’aurais mis quand même cinq siècles à inventer la roue. Là, c’est parti mon marquis. (*). Les relais, les retours, les téléphones sont sur le coup. Chaque jour DMLEP (Des Minutes de Lumière En Plus, oui je cède à la mode des initiales, je n’ai pas un caractère très affirmé), augmente son territoire et, cher(e)s actrices et acteurs de l’actualité littéraire, vos efforts et vos productions gagnent en place supplémentaire.

Chantons sous la pluie
Le ciel écrit nous une lettre

Dans ce monde où tout se rétrécit en termes de présence littéraire – mais pas partout, le Parisien Week-end où j’ai l’honneur d’officier, a augmenté d’une page -, je me dis que la résistance, de taillis en maquis, s’organise. Qui aurait pu prévoir, comme s’interroge benoîtement un président en météorologie, qu’une technologie assourdissante et détergente détruirait à ce point la culture, le goût de lire, celui d’écrire sans fautes. Qu’elle piétinerait les lettres d’amour au point de nous expliquer qu’elles ne sont plus nécessaires. Or l’année a débuté par la disparition du timbre rouge et, pour les obstinés de la plume, du papier et de l’enveloppe (des timbrés, des tarés, des dinosaures, comment ne pas préférer l’argent aux faiblesses du cœur quand on est embarqué dans l’aventure désormais ultramoderne de vivre ?), la colère ne redescend pas et n’en est pas près.

Tout est dit
Tout est dit

La Poste n’est plus la Poste. Avez-vous remarqué que lorsque vous y entrez, dans une atmosphère d’époque glaciaire, pour y apporter une lettre, on vous recommande d’en ressortir parce que la boîte aux lettres se trouve à l’extérieur ? En revanche, lorsqu’il s’agit d’y déposer de l’argent, personne ne vous invite à reprendre l’air. La Poste est une banque. Il est bon de le savoir. On n’y connaît évidemment pas les noms des envoyés spéciaux en sous-traitance chargés de vous déposer un colis et qui démissionnent aussitôt qu’il y a une couille dans le potage. Un vermicelle sur le revers du col du facteur Tati. Résultat, vous êtes chez vous mais (sur le bon de passage), n’y êtes plus. Le paquet est reparti en grande vadrouille et ne retrouvera sa terre de départ que dans deux jours au moins. Pile lorsque vous n’y serez pas pour cause de déplacement inopiné.

Bon, je m’énerve et pourtant, tout le monde vous le dira, je suis un gentil garçon. A l’école, les sixièmes écrivent ça janti. Et garçon, garsson. Sans compter que certains apprentis profs nourris au grain de l’urgence, ne connaissent pas le sens du mot chancelant. Tout chancelle, tout se barre en quenouille. Mais les parents font bloc. « Mon fils, ma fille, est un(e) génie. C’est vous, professeurs, qui ne savez pas enseigner. Non, elle (il) ne lit pas, c’est dur de la (le) faire lire. Et puis à quoi ça sert puisqu’on peut utiliser les correcteurs d’orthographe ? » » Je me demande si je ne deviens pas réac. En attendant (la Saint Glin Glin) que Booba s’aperçoive qu’un grand photographe s’appelait Boubat, que Baudelaire revienne damer le pion à Kim Kardashian, un enfant de Pivot à Hanouna, ou qu’on arrête de répéter avec des larmichettes scintillantes aux commissures des lèvres, qu’Orelsan est un grand poète (si, si, je l’ai entendu), affûtons nos petites griffes sans crainte de passer pour des Boomers. Je n’ai toujours pas compris ce que ça voulait dire. En tous cas, ce ne sont pas ceux qui pratiquent cette décadence du verbe qui vont faire boom. Ils me semblent au contraire bien partis pour contourner le rêve, se prendre des claques monumentales de désespoir et devenir vieillards robotisés bien avant l’heure.

Pleine lune
La nuit aussi est lumineuse

Revenons donc au livre, ce cliché préhistorique qui suscite leurs crachats parce qu’ils jugent que lire est un exercice de concentration dont ils ne sentent pas capables. Les écrans, au moins, ne pèsent pas lourd dans le sac mais font de nous des ectoplasmes godillots dont tous les pouvoirs, de quelque bord qu’ils soient, encouragent l’utilisation. Quand on baisse la tête en scrollant, on ne pense pas. On s’en donne la sensation en twittant. Le charcutier aussi, quand il manie son tranchoir à jambon, débite des lamelles de pensées. On voit comment (et où) ça finit. Au moins, aux comptoirs bavards des cafés du commerce si moqués, si méprisés, il y avait du cœur, de l’invention, de la verve, de la vie. Mais les zincs disparaissent peu à peu et tout le monde s’ébaubit quand l’un d’eux rouvre pour « créer du lien ». Les gens parlent tout seul dans la rue en s’enveloppant de grands gestes, deux mégots blancs dans les oreilles Oui ce monde se prend chaque jour un peu plus les pieds dans le tapis de sa cinglerie organisée. Jean-Marie Gourio, reviens ! Ils sont encore plus fous qu’ils ne l’étaient déjà.

La madone de la la côte
Regarder la mer, l’apaisement suprême

Saluons en attendant les émotions de la beauté. Elle est partout, dans un visage, une levée du soir, un matin qui tombe juste comme il fallait en deux pans de lumière, un livre qu’on ouvre sur l’étal d’un soldeur et qui nous appelle parce qu’à la page tournée au hasard une phrase nous ressemble, le plaisir gamin de rouler à vélo sous la pluie, une chanson de Pomme, une conversation sur la consolation, la certitude que  chaque jour nous rapproche du printemps, l’art de voir la vie à l’envers de mon ami Jean-Michel Ulmann : « Tout le monde écrit ses « Je me souviens » ; et si nous écrivions nos « Ce que j’ai oublié ? ».

(Expression d’origine employée par la congrégation des chaises à porteurs et qui s’est peu à peu transformée en « C’est parti mon kiki ». Vaut aussi pour les calèches à six chevaux.)

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