Sous l’aile de Sorente

La romancière révélée par « L » et désormais auteure d’une œuvre conséquente publie sans doute avec « La femme et l’oiseau » son livre le plus puissant. Le tout au confluent de thèmes qui n’étaient pas particulièrement faits pour se croiser.

C’est un roman que l’on ne peut lire que lentement, comme si chaque mot portait nos pas. Chaque mot sans en manquer un. Ensuite on n’écrit pas immédiatement sur lui. Il faut un temps de latence pour découdre et recoudre à soi-même les affluents puissants qui le constituent. Ce roman s’appelle « La femme et l’oiseau ». Il est signé d’Isabelle Sorente (« L », « Le Cœur de l’ogre », « 180 jours »…), laquelle a puisé à la source de sa propre famille, ce qu’elle explique à la fin de l’ouvrage. Il y est question, lors de le Seconde Guerre mondiale, de ces jeunes Français incorporés de force dans la Wermacht puis envoyés sur le front de l’est : les « Malgré nous ». Le cousin du père de la romancière y connut l’enfer avant d’être transféré au camp de la ville russe de Tambov. Un commando de femmes mongoles fut l’épicentre de cette sinistre aventure où les cadavres des soldats tués pourrissaient dans des hangars, empilés les uns sur les autres. Ce témoignage a inspiré à l’écrivaine le personnage de Thomas, désormais âgé de 91 ans et qui vit seul dans sa maison d’Alsace, non sans l’aide quotidien de Mona. Thomas avait un frère, Axel, envoyé lui aussi au combat. Et ce qu’il porte en lui à ce sujet, dans son souvenir et dans sa poitrine, il ne l’a jamais raconté.

Un autre mur porteur de ce roman d’une densité à la hauteur de son ambition n’a rien à voir ce segment d’histoire. Il aborde la question de la GPA, la gestation pour autrui et c’est du côté de l’Inde que Sorente nous emmène cette fois. Elisabeth, nièce de Thomas, patronne d’une société de production de documentaires et veuve de Georges, victime d’une rupture d’anévrisme, est en effet la maman de Vina. Cette adolescente tourmentée fut portée par une « Dame », telle qu’on la lui désignait, très belle, elle-même maman d’un petit garçon, et qui a légué à l’enfant le jais de ses cheveux. Cette seconde mère se nomme Anju.

Isabelle Sorente. Photo Patrice Normand
Isabelle Sorente. Photo Patrice Normand

Toute petite, Vina a rêvé d’aller lui rendre visite mais le voyage n’a pas lieu. La gamine en a éprouvé une déception qui s’est muée en poison et son âme est devenue aussi noire que sa chevelure tandis qu’Elisabeth ne marche plus qu’à cloche-pied, épaulée par une psy.

Et l’oiseau dans cette affaire ? Il a plusieurs visages. Disons qu’il est l’envoyé spécial de la puissance de la nature, ses baumes et ses capacités d’aider au retour des équilibres intimes. Lorsque Vina, notamment, après un incident grave survenu au lycée, s’en va passer trois semaines auprès de Thomas, dans un univers qui lui est fondamentalement étranger, la relation qui les unit est le troisième axe du récit. Il y avait “Le vieil homme et l’enfant”, le film de Claude Berri, avec Michel Simon, voici, en variation, le vieil homme et l’ado.

Mais ce n’est pas tout et « La femme et l’oiseau », qui est un corps (oui, un corps) qui bat, frémit et se débat sous notre lecture, est aussi une interrogation profonde sur l’instinct de l’amour, de l’amitié aussi, entre les êtres. Plongez-vous dans ce roman tel qu’on n’en lit pas tous les quatre matins. Laissez-vous emmener, envelopper, emporter sous son  aile. Car en définitive, l’oiseau, c’est peut-être le livre lui-même.

« La femme et l’oiseau », de Isabelle Sorente, éd. JCLattès, 388 pages, 20,90€

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