Le sacre des vaincus

Tout le monde a entendu parler des « Bourgeois de Calais », ce groupe statuaire sculpté par Auguste Rodin. Mais que sait-on de la genèse de cette œuvre, véritable aventure, qui bouscula les canons académiques ? Et d’un certain Omer Dewavrin sans qui elle n’aurait jamais vu le jour ?

C’est un épisode… clé de la Guerre de Cent ans. En 1346, le roi Edouard III laisse la vie sauve à six notables de Calais contraints, après onze mois de siège, de lui remettre les clefs de la ville. Il en résulta cinq siècles plus tard le monument en bronze que l’on sait, imaginé en 1885 par Auguste Rodin (1840-1917), et qui a été voulu par Omer Dewavrin, notaire et maire de Calais (1837-1904). Universellement célébré comme un chef-d’œuvre, matrice d’une révolution artistique qui bousculait les canons académiques, sa réalisation ne fut pas une mince affaire. Il fallut à l’édile une solide obstination pour convaincre le conseil municipal, financer le projet, se mesurer à Rodin, le convaincre, le relancer…

Signé de l’écrivain, biographe et historien Michel Bernard («Mes tours de France », « Deux remords de Claude Monet », La Tranchée de Calonne », (Le Bon Cœur »…), « Les Bourgeois de Calais » décrit précisément, tant sur le plan historique qu’artistique, cette patiente détermination d’Omer Dewavrin, soutenu par son épouse Léontine, tous deux subjugués par le génie d’un génie contesté et qui en avaient perçu l’extraordinaire vision.

Michel Bernard. Photo Hélène Bamberger.
Michel Bernard. Photo Hélène Bamberger

Portrait en creux du sculpteur en ses ateliers, de son appétit, de son ménage avec Rose, ce sacre des vaincus nous apprend aussi, et surtout, que le socle de toute la gestation des Bourgeois a reposé sur un mot : l’amitié qui a grandi entre Omer et Auguste. C’est par elle que Rodin s’est passionné pour cette entreprise monumentale qu’il a voulu à hauteur d’homme. C’est elle qui s’exprime presque en contre-point, au-delà de la présence pétrifiée de ces vaincus, et ne s’explique pas autrement que « par ce que c’était lui, parce que c’était moi ».

Lorrain, il est originaire de Bar-le-Duc, l’auteur qui est aussi haut-fonctionnaire, possède l’art de ranimer la flamme de l’histoire de France. Il lui suffit de souffler sur quelques braises pour que s’anime le théâtre de la Grande Guerre ou, comme ici, celui de cette longue Guerre de Cent ans. Michel Bernard ne donne pas dans l’épopée pompeuse. Son écriture toute en simplicité nous emmène à la rencontre des hommes et des femmes qui ont peuplé nos manuels. Plus altos que percussions, ses livres sont des minutes de silence. De celles qui, après le tumulte et le fracas des batailles, appellent au recueillement. Ni embaumeur, ni vulgarisateur, Michel Bernard est un enchanteur.

Jean-Michel Ulmann

Les Bourgeois de Calais”. Ed. La table Ronde, 208 pages, 20€

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