Le plus tendre et le plus rêveur de nos écrivains publie son 17eme livre, une histoire d’amour aussi belle que contrariée dans laquelle l’auteur de « La petite sonneuse de cloches », par ailleurs compositeur de chansons, n’a jamais autant fait entendre la beauté et la singularité absolue de son timbre.
Qu’est-ce-qui est égoïste dans ce merveilleux roman ? L’amour. L’amour, oui, est infiniment égoïste, ne pensant qu’à lui jusqu’au bout, sans concession, sale bête qui ne se préoccupe jamais de ses petits soldats. Et les laisse exsangues sur le champ de bataille. Nico par exemple. Nico amoureux de Laura. Son sourire à agrandir l’espace, à colorer les pâleurs qui l’entourent, ses beaux yeux tirant sur le gris, son côté petit animal sauvage. Nico ne pense qu’à elle, ne voit qu’elle, ne rêve que d’elle. Elle est sa consolation flottante d’une carrière musicale – il est chanteur dans un groupe et signe ses propres textes – qui commence à péricliter (trop de galères pour trouver des dates de concert, et même de répétitions); d’une sœur, Louise, acide avec lui; d’un père solitaire atteint de syllogomanie – le syndrome de ne rien jeter –; de copains un peu hors-sol et d’une faune rock pas franchement nourrissante pour le cœur et pour l’esprit.
Par-dessus le marché, Nico s’est embarqué dans une picturale aventure. Un mémoire universitaire sur le peintre Francis Bacon et plus précisément la série que fit le peintre anglais à propos de Van Gogh cheminant sur la route de Tarascon. S’y mêlent la représentation d’un jambon, le couteau de l’oreille coupée, Gauguin et même Soutine, invité de dernière heure que l’étudiant occupé à défricher d’autres « pistes » avait (co)pieusement oublié. Le professeur qui l’accompagne dans cette tâche, à la fois intrigué et accablé, lui met d’emblée le marché en main. Il validera son travail à une seule condition : que Nico disparaisse ensuite à jamais de sa vue. Et l’on ne peut décidément pas ne pas deviner dans ce personnage, aux accents si cinématographiques, un père par substitution, fouettard par tentation mais contraint d’aimer l’enfant qu’il voulait renier.
« L’âge des amours égoïstes » est un roman qui ne sort pas de l’enfance. Sa mère, ne peut s’empêcher de lui confier sa sœur, voit en lui un Peter Pan. Peut-être, et même sans doute, comme son géniteur, auteur, à 51 piges, d’une petite vingtaine de romans et d’essais (« Les jonquilles de Green Park », «La petite sonneuse de cloches », « Eloge du baiser »), de paroles pour la crème de la crème de la chanson française, Hallyday en tête de gondole. Il est dans ce domaine Grand Prix de la Sacem et, dans les salons du Livre, ne de déplace jamais sans une petite guitare qui fait songer à celle de Vianney. Physiquement, il est fin comme un roseau et son regard a quelque chose de détaché du monde. On n’ira pas jusqu’à dire que Jérôme est un peu Nico. Mais si, on ira jusqu’à le dire.
Peter Pan vient donc d’écrire son meilleur livre comme disent paresseusement les journalistes quand ils ont à prendre le train des clichés. J’ajouterai que c’est son plus beau, son plus tendre, son plus sensible, son plus bouleversant, son plus cruellement injuste et donc humain. Les séquences avec le papa, créateur de capharnaüm, ligoté dans sa solitude, vous saisissent au cœur. La figure de Laura, femme admirable, honnête, paradoxale, secrète, perdue en elle-même et malgré tout sauvée comme on se rattrape aux branches, est une pure réussite. La lettre qu’elle écrit appelle aux larmes sèches. De toutes les façons, il n’y a pas d’acteurs secondaires chez Jérôme Attal. Anne, Astrid, Jim, Andreas et consorts sont des émanations de la vraie vie. Et vous savez quoi ? Au bout du compte, ce livre que l’on surveillera toujours dans sa bibliothèque, pour s’assurer qu’il est bien là, qu’il ne joue pas à se faire la malle, ce livre aux formules enchantées, souvent pleines d’humour, ne répète rien d’autre que ce mantra : ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort.
« L’âge des amours égoïstes », de Jérôme Attal, éd. Robert Laffont, 221 pages, 19€