Un cœur désaccordé

Elie Semoun fait ses débuts de romancier en racontant une histoire d’amour décalquée sur ce qu’il a vécu. Même si les garçons lisent moins que les filles, nombre d’entre eux seraient bien inspirés de mettre leur nez dans cette mélodie touchante et désaccordée.

Elie Semoun est un humoriste et comme pas mal d’artistes qui ont choisi cette option en première langue pour les aider à passer le bac de la vie, il trimballe dans ses bagages une mélancolie qui saute aux yeux quand on le croise, aux oreilles quand on va le voir sur scène faire rire aux éclats son public, et au cœur quand on lit ce premier livre au si joli titre : « Compter jusqu’à toi ». C’était simple mais comme tout ce qui est simple, il fallait simplement y penser.

Fleur rouge lames d'herbes

« Compter jusqu’à toi » est un récit qui décrit une trajectoire fragile, celle d’une rencontre entre un homme et une femme (« j’en sais assez », s’en amusait Sacha Guitry). Au départ, il y a la surprise mitonnée par le hasard qui s’efforce de bien faire les choses, de leur donner une architecture, de fignoler son scénario. Cela paraît improbable mais on y croit car il n’y a parfois rien de plus improbable que la réalité.

Semoun a construit son récit par épisodes, tous habilement intitulés de charmants jeux de mots qui tourneront bientôt au jeu de maux. Elie a le sens de la formule en concentré qui assouplit la laine des sens puis vire au détergent.

Peut-être
Les incertitudes du coeur

La belle s’appelle Héloïse. Convalescente d’une catastrophique histoire précédente. Elle s’est autosignée une déclaration d’indépendance qu’elle entend bien respecter. Son Abelard l’agace lui aussi assez vite. Il ne parle que de lui sans songer un instant à lui demander comment s’est passée sa journée. Il ne pense qu’à l’amour qu’il lui porte. Il arrive que ce ne soit pas suffisant.

Entre eux, vont et viennent les kilomètres de ses tournées. Quand les séparations leur accordent un peu de répit, il est maladroit comme tout. Croit bon de l’inquiéter à la gare en masquant sa présence et s’étonne de lui trouver un visage froissé. Ce n’est pas la meilleure méthode pour placer un baume sur l’absence. Il lui écrit des poèmes hâtivement tournés mais, à en retrouver quelques-uns dans ces pages, dont il ne cherche pas à revoir la qualité. Le parfum dont il s’asperge couvre celui des fleurs qu’il lui apporte.

minuscule
L’amour fragile

« Compter jusqu’à toi » balance entre une chanson de Pomme et une autre de Juliette Armanet. C’est aussi et surtout le portrait en aquarelle d’un homme pressé de trouver une âme sœur. Et d’un éternel enfant qui mélange les chagrins. Celui d’une mère qui s’est éteinte il y a des années et dont il n’est pas remis. D’un père lui aussi disparu, il croit mettre ses pas dans les siens en en essayant les chaussures. Ca n’aide pas à son équilibre. D’un gars inapte, il le reconnait, à se laisser bercer par le bonheur. D’un jardinier (la passion d’Elie) qui ne lésine pas sur l’engrais pour faire éclore plus largement la fleur du sentiment. Résultat, le bonheur est comme Héloïse, il se méfie, n’a pas le goût à jouer les utilités, ni faire tenir en équilibre sur son museau le ballon qu’on lui lance. C’est ce que dit sans fioritures, avec un style plein de jolies fulgurances, quelques naïvetés aussi, ce livre plein d’enseignements sur les raisons du désamour que nombre de garçons seraient bien inspirés de lire.

« Compter jusqu’à toi », de Elie Semoun, éd. Robert Laffont, 216 pages, 19€

0 commentaire
3 likes
Article précédent : L’Inutile: défense et illustrationArticle suivant : Jamais trop tard pour bien fêtes

Publier un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Derniers Articles
Les articles les plus populaires
Archives