Un verre au Bon coin

Au retour de la 26eme Fête du Livre d’Autun – quoi, une semaine déjà ! – j’ai ramené dans mon téléphone une petite moisson d’images et de visages qui me racontent le plaisir de la vie qui va. Sa capacité rêveuse, sa mission première, à fabriquer de la nouveauté. Et c’est ainsi, comme aurait dit l’auvergnat Alexandre Vialatte, qu’Allah est grand (1). Et que l’éléphant est irréfutable (2). Edito à ma façon.

Autun est une île au centre des terres. La gare la plus proche, à une quarantaine de bornes, est le nœud ferroviaire du Creusot, lui-même éloigné de la ville où vécut Christian Bobin. C’est un pays où, si l’on ne possède pas de voiture, il faut s’en remettre aux navettes. Ou au vélo. Ce qui ne gêne aucunement l’écrivain Aurélien Bellanger, figure des éditions Gallimard, qui ne se déplace qu’à bicyclette. Aurélien est habitué aux longues distances – « L’Aménagement du territoire » ou « Le Grand Paris » (3) ne sont pas précisément des tweets – et qui vient de récidiver avec « Le Vingtième siècle » – est reparti couvrir cent quarante kilomètres dans les pleins et les déliés alentours après avoir répondu de son éditrice Maud Simonnot.

Tout près du salon, en bordure d’un rond-point, se tient un bistrot qui prend sous un fronton pointu des allures de chapelle. Il s’appelle Au Bon Coin. Ainsi posé dans le paysage, il ferait un excellent client pour le photographe Raymond Depardon. Forcément, j’y suis allé boire un verre. Quatre bonnes vieilles trognes à casquette étaient en terrasse. Avec accent à déclouter une porte. J’ai bien connu ça, je suis né en Bourgogne. On double-circonflexait les a, on roulait les r dans de la bonne terre grasse et on disait « j’m’en vé aller vouère ». Quand on vise Paris ce n’est pas l’idéal. J’ai perdu mon accent en m’inscrivant au cours de théâtre de la Maison de la Culture de Chalon-sur-Saône, l’une des toutes premières si mes souvenirs sont bons. Pour diluer en un tournemain mon allure de Parisien, j’aime bien saisir la première occasion de m’infiltrer dans la conversation et annoncer : « moi aussi j’schui d’lâ, j’schui d’Chââlon. A partir de là, l’étranger que je suis a aussitôt des copains et roulez jeunesse. Enfin… jeunesse…

A propos de déclouter, lisez d’urgence « Une sédentarité heureuse », de Patrick Cloux (4). Ce natif du Puy-de-Dôme raconte sa vie d’aujourd’hui en pleine nature. Tout un monde qui change, se déforme, se délite. C’est sans jugement, sans colère et tout bruissant de phrases et de formules qui resteront, pour ne pas dire s’incrusteront, dans ma mémoire de lecteur. Louis-Ferdinand Céline assurait que le style c’est le mot qu’on n’attend pas. En voilà un parfait exemple.

Patrick Cloux
Patrick Cloux publie “Une sédentarité heureuse”

Philippe Sollers est mort, et enterré à Ars-en-Ré. Dans la forêt de livres qu’est mon appartement je pars en chasse des nombreux livres que je possède de lui. J’ai commencé à les rassembler. Une pile à part entre les piles. Une stèle.

Lorsque je suis arrivé à Paris, chercher fortune de mots, j’avais dans ma valise six ouvrages de cinq auteurs, destinés à m’accompagner dans la grande ville des désirs à accomplir. Je me souviens du « Journal » de Jules Renard, dans son édition, que j’ai conservée, ultra jaunie et devenue presque friable, de 1935. La couverture ne tient plus qu’avec une raclure de scotch. Il y avait aussi, de Jacques Brenner, « Tableau de la vie littéraire en France d’avant-guerre à nos jours » et « Histoire de la littérature française », tous deux publiés chez Grasset. J’ai une éclipse pour deux des trois autres – peut-être un Calaferte, peut-être un Baudelaire – mais pas pour « Femmes », de Sollers. C’est d’ailleurs amusant parce que je n’arrive pas à le retrouver. Il doit être garé quelque part en quadruple file.

Sollers
Retrouvailles Sollers, work in progress

Il y a peu de temps (je suis très en en retard sur ces choses-là), j’ai compris ce que signifiait « scroller » en découvrant sur mon téléphone le fil des « réels » (quel curieuse étiquette). Au bout d’un quart d’heure de cet exercice de pure fainéantise destructrice, j’ai ressenti une espèce de malaise, l’installation d’une tristesse qui menaçait d’être profonde. Vulgarité, violences déguisées, enrobées de voyeurisme languissant. Hypnotisante rafale d’accidents spectaculaires, de chutes en cascade, de mariées trébuchantes ou projetées dans la boue… Je me refuse à recommencer. Si c’est pour activer encore plus mes capacités à patauger dans la mélancolie, c’est franchement inutile, je me débrouille très bien tout seul.

Miracle des rencontres, je croisais depuis longtemps un jeune homme écrivant chaque matin au Café de le Mairie du 3eme arrondissement. Est advenu ce qui devait advenir. Nous avons fait connaissance. Renan Prévot a ses racines à Châteauroux, dans l’Indre, son teknival sauvage dans les parages, à Villegongis, et ses deux enfants du cru non moins terribles que sont Christine Angot et Gérard Depardieu. Renan, comédien, au théâtre comme au cinéma, manie aussi la caméra, écrit ses propres textes mais s’intéresse aussi à ceux d’une consoeur de sa patrie natale.

Renan Prévot
Renan Prévot, préfacier de “Campagne”, de Raymonde Vincent

Sans lui j’aurais peut-être, voire sans doute, continué à ignorer superbement le nom de Raymonde Vincent (1908-1985), Prix Femina 1937, que les éditions du Passeur viennent de remettre en lumière. Ronan signe la préface de « Campagne », un récit calqué sur son titre. Encore une affaire de style, comme évoqué plus haut avec Patrick Cloux, mais dans un univers où les lièvres étaient loin de s’imaginer ce qui pas allait leur tomber sur le râble. Raymonde Vincent, dont la vie n’a pas été un sillon tranquille, est passée de bouseuse « montée » à Paris à coqueluche de Saint-Germain (des Prés évidemment), ses peintres et ses écrivains. Elle fut notamment saluée d’entrée par Paul Claudel qui voyait en cette parfaite inconnue un jaillissement de maîtrise et de pureté absolue. D’abord mariée à un nommé Béguin, bien mal nommé puisqu’il lui signifia ensuite avant de l’abandonner qu’il ne l’avait jamais aimée, Raymonde a écrit plusieurs ouvrages dans une langue qui faisait de son oeuvre un territoire sans équivalent, laissant ses congénères aussi épatés que désemparés. Les Chardonne et consorts se sont précipité au portillon pour lui écrire des préfaces. Sans succès. C’était sans compter Renan. Tout est question de patience posthume. (5)

Couverture Campagne

Miracle des rencontres bis. Je côtoyais depuis longtemps au zinc du Café de la Mairie du 3eme arrondissement, un client régulier des tout débuts de journée.  Nos échanges se résumaient à un poli hochement de tête. Et puis en mars de cette année, me rendant à la conférence de presse du Salon du Livre de Paris, sur qui tombé-je d’après vous ? Mon compagnon des petits matins.

Résultat de nos silences accumulés nous avions plein de choses à nous dire. Thomas Perette et son épouse Géraldine se préparaient à vivre leur premier salon du Livre.

Thomas Géraldine Bis
Thomas et Géraldine ont fondé les éditions A2

Ils ont en effet fabriqué une maison d’édition toute neuve, les Editions A2, comme A deux. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, Thomas y publie ses propres livres, un thriller, « White Park », qui se déroule aux Etats-Unis, et une fable pas si futuriste que ça, « L’I.A » (6), pas si futuriste qu’elle n’en a l’air puisqu’elle nous transporte en 2080, dans laquelle nos vies personnelles seront indissociables de l’Intelligence Artificielle. Et les couples, ici Julie et Alex, au cœur du récit, ne vivront donc plus à deux mais à quatre. Mais où les écrivains vont-ils donc puiser toutes ces fantaisies ?

L'I.A couverture

Petite échappée belle vers le cinéma tandis que Cannes a démarré turbo et que je découvre, en regardant les images, que ma nostalgie est tout à fait supportable mais toujours avide d’être renseignée. J’aime beaucoup que le très ancien et assez mythique plateau de Canal+, devant le Martinez, soit de retour autour d’Anne-Elisabeth Lemoine, mais cette fois devant le Splendid qui se refait une notoriété. Pourquoi cette digression ?

Une partie de l'équipe du "Cours de la vie"
Frédéric Sojcher (à gauche) et Une partie de l’équipe du “Cours de la vie”

Parce que je ne veux plus attendre pour vous conseiller un film, lequel n’est pas sur la Croisette mais vient de sortir sur 150 écrans en France. Il s’appelle « Le cours de la vie » et n’est pas si éloigné de la vocation littéraire de ces « Minutes de lumière en plus » puisqu’il célèbre l’écriture en racontant les retrouvailles, trente ans après, d’un couple incarné par Agnès Jaoui et Jonathan Zaccaï. La première, scénariste réputée, a été invitée par le second, directeur d’une école de cinéma, à présenter une master-class. Allez voir ce film superbement écrit, d’une percutante délicatesse, tout brodé d’émotion, et dont la bande son est un florilège d’extraits de musiques de films musiques de Vladimir Cosma. Ciné, musique, musique des mots. Même combat. Dans un monde où la culture, notre dernier recours pour rester dignes, est allégrement piétinée, continuons-le.

  • (1) Je sais, plus personne n’oserait écrire un truc pareil aujourd’hui à part moi.
  • (2) Là, ça ne craint rien
  • (3) « Le vingtième siècle », éd. Gallimard, 432 pages, 23€
  • (4) « Une sédentarité heureuse », de Patrick Cloux, éd. le Mot et le reste, 232 pages, 20€
  • (5) « Campagne », suivi de « Se souvenir de ma mère » (inédit), éd. Le Passeur, coll Les pages oubliées, 354 pages, 19€) J’apprends que Le Monde va en faire la Une de ses pages livres. Je suppute que nous serons nombreux à battre la campagne pour cet ouvrage.
  • (6) « L’I.A », de Thomas Perette, A2 Editions, 98 pages, 15 €. « White park », 229 pages, 19,90 € 
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