Voyage dans le “très gratin”

Enfant incandescent de cet entre-deux siècles, Simon Liberati publie Liberty, soit trois mois d’un journal écrit il y a huit ans. Une fuite en avant à tombeau ouvert dans un cocktail bien secoué d’amours agitées, de paradis artificiels et de mondanités hors-sol. Attachez vos ceintures.

La fascination n’est pas une bonne chose. Elle est un condensé d’effets pervers. Un  mélange de myopie et de presbytie applicable aux expériences hors-sol d’une certaine catégorie de la population. C’est de la drogue sans qu’on en ingère. Il n’y a pas de redescente violente, juste un petit coup sur le crâne qui vous rappelle tout de même que vous êtes né (je parle de bibi) à Chalon-sur-Saône, Saône-et-Loire, enfin plutôt la Saône que la Loire, et pas dans les joyeusetés de la cinquième dimension des bouches cuillerées d’or, plaqué ou non, d’argent pailleté, de jolies gueules et de jets privés dont personne n’imagine qu’ils puissent finir saint-exupérysés en vulgaire coucou d’aéropostale dans les tréfonds marins.

Voici donc, sur trois mois de rattrapage aux branches, ce journal d’il y a huit années, baptisé « Liberty »tel que l’écrivain Simon Liberati (Prix de Flore pour « L’hyper Justine », prix Fémina pour Jayne Mansfield ») se trouva parfois paresseusement rebaptisé. C’est, dans l’univers jet-set du “très gratin” que ce brûleur d’existence par les deux bouts, abonné aux paradis artificiels et capable de ne pas dormir soixante-douze heures puis d’en roupiller soixante-douze autres, nous trimbale dans son baluchon comme un animal de contrebande. Ses parrains de rédemption s’appellent Thadée Klossowsky ou Georges Bataille. Mais ni Genêt ni Calaferte (je dis ce qui me passe par la tête, c’est moi le patron). Les grands amours finissent en cendres de dépit et d’insultes. Les gens s’envolent dès l’aube sans changer de culotte pour l’autre bout du monde. Les nuages qu’ils traversent sont des nuées de poudre et pas que sur la peau.

Simon Liberati Photo Clara Benador
Simon Liberati Photo Clara Benador

Ce journal est également visité ici et là par les mânes de Paul Léautaud, lequel, s’il pointait aujourd’hui au Flore, station de correspondance de tout cet aréopage mondain vers les nuits blanches, sa mise et son museau, serait viré à coups de pompe dans le cul. On y devine aussi une tendresse admirative pour Jules Renard à qui l’on doit, quoique non citée, cette formule définitive et quasi-beckettienne qui devrait être enseignée en maternelle : « J’ai connu le bonheur mais ce n’est pas ce qui m’a rendu le plus heureux ». Mais passons.

Embarqué puis empêtré dans ses ombres noires lorsqu’il se prête à toutes les manigances à l’occasion d’une « enquête » pour le mensuel Vanity Fair, bien partie pour finir en eau de boudin; sauvé par les avances de ses éditeurs; ébloui par sa dernière histoire d’amour qui brûle déjà d’un enfer annoncé, Liberati est un funambule qui jongle avec le désastre mais comme on dit au Portugal : c’est ça qu’est bon !

Impossible de conclure ce papier sans une sélection d’extraits.

“J’appelle les impôts pour réduire mes mensualités, et la banque pour mon découvert. Toutes mes réserves sont usées, je suis en cavalerie. C’est drôle, ça faisait trois ans que j’avais bien jonglé. »

« Hier soir les très gratins X. sont venus dîner à la campagne. Mme X. avait de jolies chaussures, ses jeans lui faisaient de belles fesses. Vers onze heures, aller-retour en go-fast à Paris dans leur quatre-quatre. Karima dealer (une heure à poireauter à la brasserie Nord-sud, puis dans le froid). (…) On boit, on tape, on discute jusqu’à quatre heures du matin, heure à laquelle ils vont s’isoler pour baiser dans la chambre zéro. Moi, je continue jusqu’à l’aube au vin rouge en écoutant Sympathie for the Devil sur un 33 tours rayé que je possède depuis bientôt quarante ans. »

« Plus rien ne circule, même pas les dealers ».

«Le trafic de la ligne 8 est perturbé. Caroline m’appelle du désert d’Oman pour me faire une scène ».

« Rentré à Longpont, je ne me drogue pas tout de suite. Je préfère me lancer dans un grand ménage ».

« Le matin, Camille m’envoie un SMS de redescente pour me dire qu’il vaut mieux qu’on ne se voie plus pendant un moment. Je lui réponds que je fais la vaisselle. 

« Liberty », de Simon Liberati, éd. Séguier, coll. L’Indéfinie, 204 pages, 18€

0 commentaire
12 likes
Article précédent : Suivez cette femme de mauvaise vieArticle suivant : Jean-Claude Lamy

Publier un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Derniers Articles
Les articles les plus populaires
Archives