L’historien Thierry Lentz est allé voir ce qui reste du Berghof, qui fut en Haute-Bavière, la surprotégée résidence secondaire de Hitler et de sa tribu de dignitaires, familles comprises. Dépeçages entre amis et joyeuses orgies en l’absence du patron.
Dans la collection de poche des éditions Perrin, vient de paraître un fascinant ouvrage consacré au fameux Berghof qui fut en Haute-Bavière, dès 1922, sur le plateau de l’Obersalzberg, au-dessus de Berchtesgaden, résidence secondaire d’Adolf Hitler qui y voyait son « havre de montagne ». Ce fut d’abord un refuge sans prétention puis au fil des années, tandis qu’on en expulsait la population avec un tranquille systématisme une véritable petite ville dont le cœur du réacteur était appelé à devenir, dès la Seconde guerre mondiale, le village-vacances des hauts dignitaires nazis et de leur famille. Ils y avaient leur rond de serviette mais aussi leur chalet personnel. « La contrée est riante. On ne perçoit rien de la guerre », notait Joseph Goebbels dans son journal, le 25 juin 1943.
L’endroit n’est pas à confondre avec le Nid d’aigle (Kehlsteinhaus) qui se trouvait à quelques kilomètres. Edifié sur un éperon rocheux, il était réservé aux luxueuses réceptions. Hitler n’y mit que très rarement les bottes.
C’est un spécialiste de l’histoire napoléonienne, Thierry Lentz, qui s’est offert ici, comme une terrifiante villégiature, une sortie de route par laquelle s’ouvre ce récit. L’auteur n’a pas son pareil pour nous inscrire dans une atmosphère soigneusement retissée dans les fils du passé. Même si, là-haut, « il n’y a plus grand-chose à voir » – la nature ayant repris ses droits après un carnage de bombardements – et que les guides touristiques détournent pudiquement les yeux, tout, avec Lentz, se reconstruit en 3D. Nous sommes ici, emportés d’un bout à l’autre du récit dans une lave de flashbacks. Hallucinante aventure approchée dans les moindres détails, le moindre d’entre eux en disant long sur tout. Un exemple ? Le quotidien du service personnel d’Hitler, dirigé par «les ombres » alias, de 1934 à 1939 le SS Karl Wilhelm Krause puis, de 1939 à 1945, son coreligionnaire Heinz Linge. Tous deux étaient, écrit l’historien, « les météorologues de l’humeur de Hitler et c’est à eux que l’on s’adressait pour connaître le moment le plus propice pour lui annoncer une nouvelle, surtout si elle était mauvaise. » De ces valets de luxe, le premier fut éjecté pour une histoire d’eau minérale et laissa la place au second qui la convoitait grandement. Ne parlons pas de ce qu’il advint de deux cuisinières. Le diabolique Martin Bormann, conseiller du patron, se chargea de leur sort. L’homme, s’il en fut un, était dénué de tout sentiment, prêt à éliminer tout le monde, à commencer par son proche entourage. A côté de lui, un Goering, un Goebbels, étaient de sympathiques communiants.
Ce qui est fascinant, comme dit plus haut, dans ce récit qui ne se lâche pas d’une semelle, quitte à nous rendre voyeurs, à en demander toujours plus, à finir par éteindre la lumière en regrettant de quitter l’enfer, faut le faire, c’est précisément ces deux axes : d’un côté la vie en communauté de gens qui se détestaient cordialement, à commencer par les épouses qui n’étaient pas disposées à se faire le moindre cadeau. Notons qu’on y trouve un portrait très captivant d’Eva Braun, la femme d’Hitler, photographe, naviguant à la godille dans ce repaire de hyènes. Présente et effacée à la fois. Et bien sûr mise à l’écart de toute conversation politique. D’aucuns tentèrent de lui faire du tort. Mauvaise pioche. On y croise au passage la maman de Romy Schneider et tout le trouble qui s’ensuivit dans la famille.
L’autre aspect de sidération tient à ce qui passait ici en l’absence du maître des lieux. Cette tentation immédiate des hôtes à se livrer à des agapes qui n’avaient plus rien de raisonnable. Drogue, alcool, cigarettes et banquets de viandards (le Führer ne fumait pas et n’était pas loin d’être un pionnier des Vegan). Ce Babylone en folie tint jusqu’à l’ultime instant lorsque, après avoir fait semblant de vouloir l’épargner, les alliés se chargèrent de la réduire en une mer agitée, quoiqu’immobile, de gravats.
Pour résumer « Le diable sur la montagne », il faudrait recopier toutes les pages. On est mal, animal. Mais quelle lecture !
« Le diable sur la montagne – Hitler au Berghof 1922-1944 », de Thierry Lentz, éd. Tempus, 310 pages, 9€
On salue aussi leur renaissance.
« Les petits soldats », de Yannick Haenel, éd. La Petite Vermillon, 214 pages, 6,90€
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« Le sel de tous les oublis », de Yasmina Khadra, éd. Pocket, 280 pages, 6,50€
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« Elle a menti pour les ailes », de Francesca Serra, éd. J’Ai Lu, 731 pages, 8,90€
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« Juste après la pluie », de Thomas Vinau, éd. Points, 260 pages, 8,50€
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« La Grâce », de Thibault de Montaigu, éd. J’ai Lu, 316 pages, 7,60€
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« Dictionnaire amoureux de l’esprit français », de Metin Arditi, éd. L’Abeille/Plon, 673 pages, 13€
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« Du côté des indiens », de Isabelle Carré, Le Livre de Poche, 331 pages, 7,90€
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« Un automne avec Flaubert », de Alexandre Postel, éd. Folio, 155 pages, 6,90€