Ciel, que je t’aime !

Dans ce premier roman sur fond de vocation religieuse, Claire Conruyt se frotte à un sujet qui remue le trouble et la vérité de l’amour. Et comme toujours, rien de tout cela n’est sans danger.

Voilà vingt années que Sœur Anne suit les règles de retrait et de solitude du couvent. S’attendait-elle cependant à ce que la Mère supérieure lui confie la plus désarçonnante des missions : prendre sous aile, pour lui servir de guide, « être son phare », une postulante nommée Jeanne qui flirte elle aussi avec les vingt ans. Mais c’est parce qu’elle les a. « Il faudrait éduquer la jeunesse d’une vocation, en garder la simplicité et l’ajuster aux règles de la communauté.(…) Naturellement, il, faudrait lui apprendre à s’effacer. » Voilà pour le premier commandement. Le second est plus sioux. « Vos défauts lui feront comprendre que nous sommes humaines et que nous nous trompons. Si vous avez assez d’humilité pour le reconnaître, elle vous fera confiance. Vous deviendrez une confidente. »

Jeanne, jumelle de Jean avec lequel le courant ne passe plus, pas plus qu’avec son père, abattu par l’incompréhension, s’est d’abord appelée Axelle. Un prénom qu’elle ne veut plus entendre parce qu’il est chargé de douleur. Sa foi est le fruit d’une intime conviction surgie dans l’enfance auprès d’une religieuse lors d’une séance de catéchisme. Pour Sœur Anne, c’est plus compliqué. Ce n’est pas une question de tourment, non, c’est autre chose, comme si son âme ruait en sourdine dans les brancards. Au contact de Jeanne, voilà que le tourment se dessine plus clairement. Et lorsque le chaperon interroge Jeanne à propos des territoires du corps et de la chasteté, la plus troublée des deux n’est pas celle qu’on croit.

Claire Conruyt @DR
Claire Conruyt. Photo DR

Tout cela, la lectrice (ou le lecteur mais il y a plus de chances que ce soit une femme qui entre en vocation de suivre la route, pas si longue, de ce premier roman signé d’une journaliste), le sait dès l’entame. Ce n’est pas une simple relation entre deux religieuses qui lui sera contée, mais une aimantation mystérieuse, plus complexe, plus mystique au fond et ravageuse. Sœur Anne a beau se convaincre qu’elle aime Jeanne « comme une mère aime sa fille », elle est furieusement dépassée d’avoir tout à apprendre de cette novice tombée du ciel, d’une pureté et d’un ascétisme sans faille, et concède que c’est un amour « qu’on ne nomme pas ». Cette Jeanne ne connaît pas les tempêtes qu’Anne, percluse de doutes, traverse et dont elle paiera le prix.

« Mourir au monde » creuse sous ses lignes la cruauté et l’imperfection du monde pour en faire jaillir, avec une vraie délicatesse, la source des interrogations essentielles. Oui, c’est bien un roman qui parle d’amour, de ses faiblesses, ses déchirements, ses baumes et ses illuminations.

 « Mourir au monde », de Claire Conruyt, éd. Plon, 155 pages, 17€

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