La poésie vous saoule ? Laissez-le vous en enivrer !

Il est acteur, il est écrivain, il aime cet autre corps de nous que sont les mots. Philippe Torreton publie, du 12e siècle à nos jours, une séduisante, novatrice et régénérante « Anthologie de la poésie française ». Vous vous demandiez ce qu’était un supplément d’âme ? Le voici.

Philippe Torreton est devenu célèbre sur fond de guerre, jaillissant des tranchées en 1996 dans la peau et l’uniforme de Capitaine Conan, le film de Bertrand Tavernier qui a valu le César du meilleur acteur. Mais c’est dans un propos de paix qu’il a toujours inscrit son sillage. Bien sûr, si ses deux derniers romans, « Jacques à la guerre » et « Une certaine raison de vivre » (éd. Robert Laffont) sont imprégnés d’une chair à canons qui se mange crue, c’est évidemment la paix qui l’occupe depuis toujours. Et puisqu’elle passe par l’écriture, elle habite aussi la poésie. Début 2022, au théâtre, sur la scène de la Comédie des Champs Elysées, aux côtés de Richard Kolinka et d’Aristide Rosier, il livrait « Nous y voilà », un récital poético-musical ancré dans la sauvegarde de la terre clôturait le spectacle par un texte de Jean Tardieu (1903-1995). Connaissez-vous « Conversation » ? C’est page 515. Vos enfants vont adorer. Ca va vous changer de « Libérée Délivrée ».

Philippe Torreton. Photo Bruno Klein. Divergence Images
Philippe Torreton. Photo Bruno Klein. Divergence Images

Voilà qu’il boucle l’année 2022 avec une « somme » comme on dit : une « Anthologie de la poésie française ». L’ouvrage, chez Calmann-Lévy, se présente sous une belle couverture blanche, ce blanc qui n’est pas seulement symbole de pureté mais aussi d’éternité, et qui fonctionne également à rebours puisque la poésie fut le premier langage. Comme dit Benjamin Péret cité en exergue de l’ouvrage qui court du XIIe siècle au XXIe (notons au passage : douze, vingt-et un… Le reflet de ces nombres-miroirs s’en va gambader en pointes d’épingles aux opposés de l’infini (*)), elle est le premier souffle de l’homme ». « Je suis certain, écrit Torreton dans sa préface, que dans ce fin fond des âges perdus, l’un d’entre nous a dû grogner différemment devant un coucher de soleil, une tempête, une éclipse, un feu, ou le miroitement de l’eau entre deux fougères arborescentes (…) La poésie a dû naître comme ça, par chocs d’impressions devant la beauté ou la crainte engendrant soudain un pincement organique (…) ». La quatrième de couverture est un enchantement. « Ce n’est pas un livre en fait mais un kit de survie en territoire hostile ».

Illustration feuilles automne

Par cette démarche d’apparence hautement pédagogique, l’acteur-écrivain, qui déclarait l’autre jour à la télévision dans ‘’C à Vous’, l’émission animée par Anne-Elisabeth Lemoine sur France 5, avoir été un élève bien mal parti, n’entend pas se poser en parangon d’un savoir retrouvé. Il préfère la jouer comme Pennac.  « Ne vous sentez pas obligé d’aimer tel ou tel poète réputé (…) Lisez honnêtement, déposez armes et bagages, oubliez l’école, le lycée, dans l’université, oubliez ces comédiens pédants qui se délectent de mos fins pour conforter leur suffisance ». On ajoutera humblement que pendant les années 70/80, il est arrivé grand malheur à la poésie. Un pilonnage acharné d’assèchement mathématique, brûlant les chairs, lissant les os, chiant du sec. Elle sonnait dans des revues pédantes comme des volets claqués sur le noir. C’était une entreprise d’extermination des sens. Les poèmes ressemblaient à de squelettiques vaisseaux fantômes errant sur de transparents horizons. En architecture, ça se rapprochait du brutalisme angulaire et bétonné.

feuilles banc

Là, non. En chien courant et truffier, constant mijoteur de ce qui nourrit la vie, l’acteur de «Ca commence aujourd’hui » (encore du Tavernier), propose à ceux qui sont imperméables à la poésie de revoir leur intime copie, de commencer dès aujourd’hui à réenvisager la chose (et le mot), en quoi ils se réchaufferont le cœur et se remuscleront l’âme.  

Une anthologie ne consistant pas à recopier celles qui la précédèrent, ni à pompidouler, mais à proposer un nouvel et magique itinéraire – un « voyage » résume le capitaine de croisière Torreton – les escales de cet antiscolaire programme pourvoiront à apaiser le stress, à masser l’énergie (la poésie est-elle un salon de messages ?), à faire un signe à Trintignant qui la défendit tant, et beaucoup à surprendre. Par des auteurs pas si connus que ça et merveilleusement portés par la houle (Catherine Pozzi, 1936) ; par des célébrités (l’un des pires mots en vigueur aujourd’hui), Boris Vian par exemple et leurs non-célèbres poèmes ( « Terre-Lune », 1955) ; par des résurrections : « Voici que le silence a les seules paroles/ Qu’on puisse, près de vous, dire sans vous blesser ; »(Marguerite Yourcenar, « Les Charités d’Alcippe »1956) ; des consolations de soi, de moi, de vous, de nous et de tout le monde : « Je vis, je meurs », de Louise Labé (1955). Superbe texte de Samuel Beckett. Côté chansons, Ferré passe à l’as. C’est un regret, moi qui m’en fais, en ces épines d’hiver, ma couverture chauffante. Mais voici Barbara, « Mon enfance ». On s’en cajole. Bon, on ne va pas faire tout le bouquin.

Image coquelicots

Torreton nous redit une évidence. La poésie n’est pas une mièvrerie. Ou un météore qui ne nous concerne pas. C’est une image cueillie de la beauté des saisons, d’un visage croisé, d’une lettre envoyée avec un timbre et dont le souvenir, pour qui la reçoit, durera toute la vie ; un instant de repos, une révolte douce et souriante ; un bijou qui ne s’achète pas ; une phrase surgie de nos labyrinthes intimes et qui nous parle ; une belle échappée ; un jour de vacances ; une brise qui nous allège le cœur ; une liberté qu’aucun malfaisant ne cherchera à nous restreindre ; à nous voler.

(*) Je ne sais pas s’ils existent toujours, il y a un petit moment que je n’y suis pas retourné, mais cette impression double d’infini m’avait sauté aux yeux lorsque je suivis le couloir qui mène à la salle de l’Olympia. Alors, je compris, entre ces deux horizons qui me fuyaient, la place que j’occupais dans l’existence. Ca calme.

« Anthologie de la poésie française », par Philippe Torreton, éd. Calmann-Lévy, 623 pages, 23,90€

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