Özge a eu raison d’oser

Elle est, chez nous, une révélation. La scénariste et dessinatrice Özge Samanci, née en Turquie et qui vit à Chicago, publie aux éditions du faubourg un roman (autobio) graphique, « Nager à contre-courant ». Elle y raconte une émancipation réussie dans un pays assis entre deux chaises.

Bien sûr il y a Riad Sattouf et l’épopée en six tomes de son « Arabe du futur » qui rencontre l’énorme succès que l’on sait. Mais dans la catégorie roman (autobio)graphique, voici une nouvelle venue qui n’est pas syrienne mais turque, mérite la même attention et, ça va de soi, un beau succès de ventes. Elle se nomme Özge Samanci, est née à Izmir sous Atatürk, vit à Chicago où elle enseigne les arts visuels, ne prononce pas un mot de français mais son sourire parle à tout le monde. On doit cette découverte au nouveau visage de l’édition qu’est Sophie Caillat. Sophie est la fondatrice, il y a trois ans, des ‘éditions du faubourg’ installées près des Folies Bergères dans les locaux d’une ancienne imprimerie. La maison compte à ce jour plus d’une vingtaine d’ouvrages publiés, y compris dans un département bande dessinée. Vous retrouverez en archives de ces « Minutes » l’entretien que l’éditrice nous avait accordé. Vous pouvez aller y jeter un œil, ça me fera plaisir.

Créer une maison d’édition dans ce monde gonflé à l’hélium du virtuel, c’est déjà nager à contre-courant. Cet ouvrage au titre éponyme s’y trouve donc comme un poisson dans l’eau et l’on verra comment le commandant Cousteau n’y est pas étranger.

Couverture Ozge

Özge (prononcer Euzgeu) y raconte, dès l’enfance, son goût pour les études puis sa trajectoire obstinée pour intégrer un prestigieux établissement, en dépit d’un père nettement plus disposé à la voir embrasser une carrière d’ingénieure. Les maths seront son purgatoire mais les purgatoires ne sont jamais inutiles. Le sien favorisera, dans les marges des séries d’équations, l’éclosion d’un autre talent : celui de dessinatrice.

On s’en doute, ce sillon de bonne élève creusé par Pelin, la sœur de l’auteure, ne fabrique pas à lui tout seul 190 pages. L’histoire d’un pays, que nous, occidentaux, connaissons si peu pour ne pas dire, je parle pour ma pomme, pas du tout, s’y tresse naturellement. C’est parfois du brutal et Özge ne se prive pas de le traduire sans détours en images : tortures, assassinats, de victimes soupçonnées d’être kurdes par exemple, ne s’illustrent pas avec des roses. Ou alors bien sanglantes.

Ôzge Samanci (à gauche) et son éditrice Sophie Caillat.
Ôzge Samanci (à gauche) et son éditrice Sophie Caillat.

Pour représenter les choses, même brièvement, et nous les enfoncer comme un poignard entre les neurones, Özge peut compter sur ce trait efficace, faussement naïf mais si inventif, parsemé d’échappées électriques et colorées, sympathique poil à gratter, qui constituent son style.

En quinze chapitres – le dernier s’intitule « Le commencement » – « Nager à contre-courant » est un voyage à rebours dans un pays fracturé, conservateurs contre progressistes, à commencer par le corps professoral et le corpus de punitions qui tombent comme à Gravelotte sur les nageurs à contre-courant. C’est aussi, évidemment, dans un environnement de quasi générale hypocrisie, un état des lieux toujours mouvant, toujours hésitant, le portrait d’une Turquie prônant du bout des lèvres l’émancipation des femmes qu’elle réprouve en douce. « Messieurs ! », s’exclame un élève délégué devant une classe mixte.

Vous allez aimer le combat qui s’appelle Liberté et que cette Turque mène.

« Nager à contre-courant- Une enfance en Turquie », de Özge Samanci, éditions du faubourg, Collection Bande dessinée, 190 pages, 22 €

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