Les éditions Seghers rééditent dans leur collection Jeunesse « Les animaux de tout le monde » et « Les animaux de personne », deux recueils de fables tout en fantaisie signés du poète Jacques Roubaud. Quel talent, l’animal!
Si la poésie était une marque de bonbons, elle s’appellerait Jacques Roubaud. Demandez les bonbons Roubaud, qui n’abîment pas les dents, diffusent un bénéfique sucre lent et ne font pas mal au ventre. Enfin, si, un peu. Parce qu’avec quelques-uns de ces textes, conçus comme des fables, on est parfois plié de rire. Un rire régénérateur, un rire qui nettoie des soucis du jour. D’autres fois c’est tendre, tendre, sucré et apaisant comme un bonbon fondant.
Dans sa postface aux « Animaux de personne », qui ressort chez Seghers Jeunesse conjointement aux « Animaux de tout le monde », l’éditeur Dominique Maucond’huy, par ailleurs expert en fabulistes (« Fabuleux fabulistes », Seghers Jeunesse) raconte comment Roubaud, âgé de 89 ans, Goncourt de la poésie en 2021 pour l’ensemble de son œuvre, membre de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) et qui a été un éminent professeur de mathématiques, lui assura que le Téléphone n’était nullement une bestiole inventée mais bien « un oiseau à la queue longue et aux ailes courtes ». Le Téléphone figure au sommaire des « Animaux de personne », en compagnie, pour ne citer que ceux-là, du Potoroos, du Coati sociable, du Céphalophe raseur ou du Lièvre variable. Notez que la solitude allant bien deux minutes, tous ces bestiaux se sont trouvé un hébergement chez de vraies personnes à la manière des étoiles qui se dénichent un parrain.
Sous leur élégant format carré, et d’attirantes couvertures très colorées sous la patte de Julia Wauters, ces rééditions ne concernent donc pas, cette fois, des livres, mais bien des médicaments utiles à tous les âges et à prendre sans modération. Avez-vous des enfants ? Une posologie idéale serait de leur lire matin et soir l’une de ces fables : le matin quand ils dorment encore, afin qu’ils se réveillent de bonne humeur, le soir pour qu’ils s’endorment en souriant. Le contraire est tout aussi possible dès qu’ils sauront lire pour faire de même avec vous.
En attendant, lisez plutôt. Et à haute voix.
“Les animaux de tout de monde”, éd. Seghers Jeunesse, 90 pages, 7,90€
“Les animaux de personne”, éd. Seghers Jeunesse, 83 pages, 7,90€

L’ornithorynque (Les animaux de tout le monde)
L’ornithorynque, un animal timide
que les Anglais appellent platypus
pour se connaître va sur le campus
il veut s’inscrire en biologie hybride
« Où vivez-vous ? Dans un milieu humide ?
qu’on lui demande, ou bien dessus l’humus ? »
« Et ces palmes, c’est quoi ? du papyrus ? »
« Que mangez-vous, du sel ou des acides ? »
Tout chamboulé, le pauvre ornithorynque
s’enfuit à Labastide-Esparbairenque
un tout petit village bien caché
de l’Aude, recommencer sa vie à neuf.
Et là, près du ruisseau, sous les pêchers
Tout blancs, réfléchit, et pond presque un œuf.

Le Nyctipithèque Douroucouli (Les animaux de personne)
Les orangers bougent dans l’orangerie
Ls pastèques coulent dans le vent coulis
Près du Nyctipithèque Douroucouli.
Le ramier roucoule comme le courlis
Dans la discothèque, le nid, le tipi
Du Nyctipithèque Douroucouli.
Le rio Paraguay s’écoule et s’enfuit
Il se roule en boule dans les éboulis
Le Nyctipithèque Douroucouli.
Il a peur du rouge du feu des bougies
Quand les mouches le touchent il pousse des cris
Le Nyctipithèque Douroucouli.
Pour lui point de foule de houle de roulis
Le pecq ou la Mecque. Il reste au pays
Le Nyctipithèque Douroucouli.